LE BELEM Trois-mâts barque
Ouistreham / Granville
21-24
septembre 2010
Deux anniversaires coïncidaient en septembre 2010: les 20 ans de La Granvillaise et les 20 ans des Amis des Grands Voiliers. Deux événements qu'il convenait de fêter dignement. Les AGV avaient donc décidé de rallier Granville en embarquant à Ouistreham à bord du plus prestigieux des Grands Voiliers français, Le Belem (je fais abstraction des goélettes de la Marine Nationale la Belle Poule et l'Étoile qui en principe n'embarquent pas de passagers civils). Nous étions donc une vingtaine d'adhérents à effectuer cette navigation contournant le Cotentin. Trois jours pleins pour rallier Granville, cela paraît tout bête au premier abord. Et pourtant, cette navigation s'avérera plus compliquée qu'il n'y paraissait, et pleine d'imprévus... |
Je retrouve mes amis de l'association, dont plusieurs que je n'ai jamais rencontrés, qui ont pour la plupart embarqué hier soir. Les portes de l'écluse s'ouvrent vers 9h30. Le ciel est complètement dégagé, magnifique. En revanche, le vent est très faible, et la météo ne prévoit que force 2-3, ce qui est vraiment peu pour faire avancer les 800 tonnes du Belem. A 10h00, le pilote du port de Ouistreham remonte à bord de la pilotine. Le commandant Jean-Alain Morzadec nous présente alors l'équipage: le second capitaine Gabriel , les lieutenants Charlène et Renaud, le Bosco Patrice, le chef mécanicien Fabrice, le maître charpentier Gaël, et les gabiers Jérémy, Xavier, Antoine, Serge, Pierre-Marc, Fabrice et Frédéric, sans oublier Lionel et Cédric les cuistots. Le commandant, Gaël, Jérémy et Lionel étaient déjà à bord en 2005 en Méditerranée. Quant à Serge, c'est une vieille connaissance puisque c'est lui qui a été notre guide formateur sur La Boudeuse à Paris! Très vite les voiles sont envoyées, d'abord les voiles d'étai et les focs, puis les voiles carrées et la misaine. A chaque manuvre un gabier en explique le principe aux stagiaires pour qu'ils ne tirent pas bêtement sur des bouts sans comprendre la finalité de leurs efforts, et cela prend bien sûr un peu de temps. Et pourtant, en moins d'une heure toute la toile est établie. On a mis tout ce qu'on pouvait mettre pour ne pas perdre le moindre soupçon de vent! Nous naviguons au près tribord amures, les vergues brassées en pointe. Cette allure plus que modeste a quand même du bon. A 15h00, le commandant Jean-Alain Morzadec donne l'ordre de mettre le petit zodiac à l'eau pour que les stagiaires puissent faire le tour du Belem. Les conditions de lumière et l'état de la mer sont parfaits pour réaliser de belles photos du trois-mâts toutes voiles dehors. Génial. En fin d'après-midi, les conditions étant toujours aussi favorables, les stagiaires qui ne sont pas sujets au vertige (ce qui n'est pas mon cas loin s'en faut) sont invités à monter sur la première vergue du grand mât. Une ligne de vie assure maintenant les stagiaires lorsqu'ils grimpent jusqu'à la hune par les enfléchures, inspirée du système empêchant les alpinistes de tomber en cas de chute. Un gabier se tient dans la mâture, en l'occurrence l'inénarrable Jérémy, pour assurer chaque personne lors du délicat transfert vers le marchepied qui court sous la vergue. Une fois de plus je regrette de ne pouvoir admirer le Belem sous un angle aussi inhabituel. Un jour, peut-être... Je suis du premier quart de nuit, le 20-24, c'est à dire le moins difficile. L'équipe de quart est divisée en trois: un tiers sur la dunette à la barre, un tiers sur le gaillard d'avant à la veille, un tiers à disposition. Pour éviter la lassitude et la fatigue les quatre heures sont elle-mêmes réparties en trois fois une heure puis trois fois vingt minutes. En cas de besoin, pour un virement de bord par exemple, tous les hommes disponibles sauf un qui reste à la veille participent à la manuvre. Nous commençons à distinguer le phare de Barfleur. Tout va bien à bord lorsque vers 21h00 Pascal aperçoit loin devant sur bâbord une lumière qui semble clignoter par intermittence. Il fait déjà nuit et la clarté de la lune ne permet pas de voir de quoi il s'agit. Est-ce une cardinale, la balise d'un casier ou d'un filet (c'est interdit mais on en a déjà vu), ou autre-chose? Nous restons les yeux fixés sur ce point lumineux pendant de nombreuses minutes sans pouvoir nous faire une idée précise. Puis cette lumière semble se rapprocher, nous allons la croiser. Lorsqu'elle passe à notre hauteur, à cinquante mètres environ du voilier, nous percevons une lueur rouge sous la lumière blanche. Charlène, chef de quart, semble distinguer une masse sombre grâce aux jumelles infrarouge. La lumière pourrait être celle d'un gilet de sauvetage, avec ou sans homme. Le CROSS Jobourg a été prévenu et après consultation du commandant il est décidé de faire demi-tour, respectant ainsi la tradition d'entre-aide des gens de mer. Tout le monde est appelé à la manuvre pour virer vent devant, il faut tous les bras disponibles. Il faut d'abord carguer la grand-voile. Le voilier abat de lui-même sous l'effet de la vitesse. Il faut alors border l'artimon au milieu et mettre la barre à droite. Dès que la misaine fasseye, il faut filer les focs puis changer derrière, c'est à dire brasser les vergues des voiles du grand mât. Ensuite il faut en faire autant à la misaine. Les focs étant passés il faut les border. Enfin il faut reprendre le brasseyage et les écoutes. Cette manuvre est exécutée en moins d'un quart d'heure, ce qui est une très bonne performance. Nous naviguons maintenant en direction du point que Charlène a relevé sur le GPS et qui correspond à la dernière fois où la lumière a été vue. Nous arrivons à ce point, nous le dépassons même largement sans jamais revoir cette lumière. Le CROSS Jobourg n'a pas reçu d'appel de détresse et nous demande de reprendre notre route initiale. Il est probable que ce soit tout bêtement un gilet tombé d'un bateau. D'où un nouveau virement de bord (voir paragraphe ci-dessus...). Nous avons fait beaucoup de bruit sur le pont, ce que les équipiers du 0-4 ne manquent pas de nous dire. Mais c'était pour la bonne cause, et ils nous pardonnent sans problème. |
22
septembre 2010 - En mer / Baie de Saint-Brieuc De 9 à 10, c'est l'heure de propreté du navire. Patrice distribue les flacons de Miror et les chiffons pour fourbir les cuivres. Moi qui ne les fais pas à la maison, me voici en train de frotter, lustrer, re-frotter, re-lustrer! Ce n'est pas ce qu'il y a de plus passionnant comme occupation sur un voilier, mais il fait beau, on est tous dans le même sac entre copains, l'ambiance est à la rigolade, et ça permettra ensuite de faire de jolies photos. Mais pourquoi est-il si important de faire les cuivres régulièrement sur un navire? Le cuivre s'oxyde très vite en milieu marin. Certaines pièces comportent une inscription gravée. Si elles ne sont pas briquées régulièrement, elles deviennent illisibles. D'autres comportent une charnière qui risque de gripper. Et puis franchement, peut-on imaginer un tel voilier, avec d'aussi belles boiseries et des cuivres tout verts? Alors on y va, et de bon cur. Il
est un peu moins de midi lorsque nous sommes alertés par un gabier: Dans l'après-midi le vent a molli et le moteur a été mis en route. Gaël, le maître charpentier nous réunit sur le spardeck pour un cours magistral à propos du gréement. Aidé d'un petit tableau blanc, de feutres et de chiffons, il nous explique tout le gréement du Belem, de la mâture aux manuvres en passant par les voiles et comment s'en servir. Aujourd'hui plus aucun stagiaire ignore où se trouve le point d'amure ou ce qu'est une cargue bouline! En fin d'après-midi, les stagiaires qui le désirent vont faire un petit tour dans le filet, sous le beaupré. Là encore, la sécurité est assurée au maximum. Nous arrivons au mouillage en baie de Saint-Brieuc en début de soirée. Le ciel s'est assombri, présage d'une journée pluvieuse pour demain! La côte est très peu éclairée, ce qui me surprend, car Saint-Brieuc n'est quand même pas un hameau! En fait, nous mouillons au large du petit port de Bréhec, à une trentaine de kilomètres au nord-est de Saint-Brieuc. Lors du pot offert par l'équipage, le commandant nous annonce que si la météo se confirme, vent de force 4 demain après-midi, nous devrions effectuer un mouillage demain soir aux Îles Chausey que l'on devrait atteindre un peu avant minuit. Myriam me lance un clin d'il car ça veut dire qu'on échappe au quart de 0-4 qui est le plus dur. Jean-Alain nous explique que compte tenu de la marée, nous ne pourrons entrer dans le port qu'à partir de 8h00. Le pilote viendra nous prendre en charge à 7h30. Super! En tous cas, pour cette nuit, je ne ferai pas le 4-8, et je profite de l'aubaine pour discuter jusqu'à une heure avancée avec mes amis de l'association. |
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septembre 2010 - En mer On a tout juste le temps d'enfiler les vêtements de pluie que le premier grain nous arrive dessus! Ça tombe dru. En quelques minutes le pont est transformé en pataugeoire et il faut redoubler de prudence en empruntant les escaliers qui descendent de la dunette ou du spardeck, et dont les nez de marche en cuivre accrochent autant qu'une savonnette dans un bac à douche. Ces grains accompagnent des perturbations qui font changer la direction du vent. Ce qui nous amène à modifier la trajectoire du voilier. D'où la nécessité de brasser les phares carrés. Quand on a fini de brasser, il faut ranger. Tous les cordages en vrac sur le pont doivent être soigneusement lovés sur leurs cabillots. Et à peine a-t-on fini de ranger que le vent a de nouveau changé, et qu'il faut recommencer! C'est bien les vêtements de pluie, bien étanches. Mais lorsqu'on lève les bras pour peser sur une drisse, malgré les élastiques au poignet, l'eau froide coule le long des bras. De même quand on n'a pas pris le temps de chausser les bottes de pont, toute l'eau qui ruisselle sur la veste et le pantalon s'écoule dans les chaussures. Heureusement, les manuvres nous réchauffent, on ne risque pas d'attraper un coup de froid! En début d'après-midi on attend vainement le vent annoncé. A 15h00, nous sommes encore au large du phare du Grand Léjon, c'est à dire en plein milieu de la Baie de Saint-Brieuc. Ce qui amène le commandant à changer de stratégie. Comme on n'avance pas assez pour être au mouillage à Chausey vers minuit, nous allons tirer tout droit vers Granville et naviguer de nuit. Du coup le 0-4 est à nouveau d'actualité! A 15h00, nous sommes conviés sur la dunette pour un cours de virement de bord par le commandant en personne. A l'aide d'une maquette, il nous explique les différentes phases, mât par mât, des virements de bord vent devant et lof pour lof. Et pour vérifier que tout le monde a bien compris, il partage les stagiaires en deux et nous passons aux travaux pratiques. Et c'est parti pour un virement lof pour lof pour le premier groupe, sous l'il intéressé du second, dont je fais partie. Une fois le virement effectué, les cordages lovés, c'est bien sûr à notre tour. Et comme nous sommes majoritairement membres des Amis des Grands Voiliers, il va sans dire qu'on se fait copieusement mettre en boîte! Mais c'est de bonne guerre. Le vent changeant constamment, nous effectuerons ainsi plusieurs virements de bord tout l'après-midi. Je rejoins ma bannette après le dîner, la quart de 0-4 risquant d'être animé! |
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septem bre 2010 - En mer / Granville A
2h00, je rejoins l'équipe sur la dunette.
Frédéric me propose de prendre la barre, ce que je fais
avec plaisir. Barrer un voilier comme le Belem en pleine nuit est quelque
chose de spécial. On a tout le bateau devant soi, et malgré
l'obscurité et la masse nuageuse masquant la lune, on voit toute
la mâture et les voiles. On navigue au près et tout en
veillant à rester le plus près possible du cap qui m'a
été donné par le chef de quart, je repense aux
conseils prodigués par Jean-François à bord de
Lola: Avant de rejoindre
le gaillard d'avant, Gaël me voyant à la barre m'avait lancé,
goguenard: Moins de cinq minutes plus tard, on prend un grain comme je n'en ai jamais pris. La pluie arrive par tribord avec une violence inouïe. Je sens les gouttes qui transpercent les quatre épaisseurs de vêtements, jusqu'à atteindre mon dos. L'eau est glacée. Quant au pantalon de toile, j'ai l'impression d'avoir pris ma douche avec. La pluie redouble de violence, et je suis cloué à la barre, je ne peux pas m'abriter, bien entendu. Pourquoi n'ai-je pas mis mes vêtements de pluie? Quel c.. je suis! Heureusement ce grain ne dure pas plus d'une minute ou deux. La pluie cesse, mais le vent reste fort. C'est heureux, je sèche finalement très vite. On effectue un virement
de bord vent arrière. Je reste à la barre, bonne opération,
sous les ordres de Frédéric. La brigantine
le flèche et la grand-voile ont été
cargués. Comme on pouvait le penser, nous sommes près de la côte et on peut distinguer nettement les lumières de Granville. Il va donc falloir tirer des bords en attendant la marée. A 3h00, nouvelle
relève. Fabrice remplace Frédéric. La douche n'est pas un luxe, même à 4h du matin. Les vêtements me collent à la peau, et l'eau chaude me fait le plus grand bien! Le pilote du port arrive à 8h précises, comme prévu, suivi quelques minutes plus tard par La Granvillaise, dont les marins se sont levés de bonne heure malgré le mauvais temps pour venir accueillir Le Belem. Et ça, c'est vraiment sympa. Le Belem vient doucement à quai. A 8h30 les aussières sont tournées. Et bien sûr, les badauds sont déjà là pour admirer le bateau, se demandant certainement qui on est pour pouvoir être à bord du Belem. Certains pensent sans doute que nous sommes de vrais marins, d'autres des VIP. Eh non, nous ne sommes que des amateurs, heureux d'avoir tiré sur des bouts pendant trois jours à bord d'un voilier connu dans le monde entier. Comme lorsqu'ils étaient gamins, les stagiaires échangent leurs adresses (électroniques bien sûr). Allez, tchao, à une autre fois, sur Le Belem ou sur un autre voilier, qui sait? |