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Le terme anglais "Sail
training" est intraduisible tel quel dans la langue française,
c'est un idiotisme. Car la traduction littérale "entraînementà
la voile" serait beaucoup trop réductrice. Nos amis Québecquois
utilisent la formule "voile éducative", que je trouve
personnellement très appropriée. Sur le voilier Arawak,
on l'utilise comme base pédagogique à l'égard de
jeunes lycéens.
Les jeunes ont parfois
du mal à comprendre à quoi leur serviront plus tard les
cours qui leur sont dispensés dans leur collège. Faute d'exemples
concrets nombre d'entre eux font un véritable blocage psychologique,
se retrouvent en échec scolaire et face à un avenir totalement
bouché. Et pourtant, ils ne sont pas moins intelligents que les
autres.
Pour éviter d'en arriver à ce stade, des enseignants du
Collège Jean Verdier à Audenge et l'association "Arawak
vieux gréement", poussés par Dominique Reynet, psychomotricienne
en pédopsychiatrie qui connaît bien le potentiel représenté
par l'Arawak, ont eu l'idée de mettre au point un programme spécifique
pour quelques jeunes en difficultés scolaires. A partir d'un thème
précis, ils travaillent en ateliers, afin de matérialiser
les enseignements traditionnels qu'ils ont reçus au collège,
le voilier servant d'outil d'insertion.
C'est ainsi qu'à l'invitation de Dominique Reynet, copropriétaire
d'Arawak dernier chalutier-thonier ételois, j'ai pu rencontrer
lors d'une petite navigation en Gironde huit jeunes collégiens
de 3ème, trois filles et cinq garçons au parcours scolaire
incertain, encadrés par quatre enseignants. A bord du voilier,
les cours de navigation, de cartographie, d'histoire de la région
étaient dispensés par Claude et Jacques, deux bénévoles
de l'association de l'Arawak. Claude encadre souvent des séjours
d'adolescents ou adultes atteints de handicap mental. Jacques, ancien
Lieutenant-colonel de l'armée de l'air est également Président
du "Souvenir français" et membre de la "Flotte nord
Bassin". C'est lui qui est à l'initiative de ce projet avec
la Principale du collège, dont les professeurs ont accepté
d'orienter leur programme plus particulièrement sur la navigation.
La professeure de biologie a axé son travail sur la géologie
et la biodiversité de l'estuaire, le professeur de physique sur
les instruments de mesure, le prof de sport leur a proposé une
session de quatre séances d'initiation à la voile légère.
Le professeur de mathématiques les a fait travailler sur les calculs
des marées, et en français le travail a porté sur
les textes évoquant le voyage.
Ces jeunes, qui ont pu voir la Patrouille de France, sont déjà
venus à deux reprise à bord d'Arawak, à quai, pour
préparer cette navigation qui durera trois jours. Deux réunions
au collège ont également eu lieu afin d'aborder les termes
techniques et apprendre comment avance un voilier. Ils visiteront le Musée
du Verdon où leur sera évoqué le Mur de l'Atlantique.
Il s'agit donc d'un travail en continu sur toute l'année scolaire,
avec des interventions au collège et sur le voilier, cette navigation
dans l'estuaire de la Gironde venant clôturer le projet. Au retour,
après un débriefing avec les parents, ils mettront en commun
les notes qu'ils ont prises sur leur carnet de bord, et devront réaliser
une exposition.
Dès leur arrivée à bord, j'ai été frappé
par leurs comportement non conventionnels par rapport à l'idée
que l'on se fait de jeunes en difficulté. Sortis de leur quotidien,
ils sont obligés de se créer de nouveaux repères.
Et ces nouveaux repères sont donc ceux que l'on trouve à
bord d'un voilier: confinement, isolement du reste de la société,
hiérarchie, entraide, responsabilité, devoir. Rapidement,
ils adoptent des attitudes cohérentes, respectant les règles
du bord, écoutent les conseils et les recommandations et participent
sans rechigner aux manoeuvres. Bien entendu, il y a quelques dérapages,
mais pas inhabituels pour de jeunes ados. Alors que d'habitude rien ne
semble les intéresser, là ce sont eux qui posent les questions.
Déroutantes parfois, pertinentes souvent.
Les différentes manoeuvres effectuées à bord d'Arawak
ont permis à quelques uns de tester leurs véritables capacités
physiques et de constater que tirer sur une drisse pour hisser une voile
nécessite certes un peu de force, mais surtout de la cohésion
de groupe. D'où la nécessité de se désindividualiser.
Et lorsque le plus "dégourdi" d'entre eux tenta de grimper
dans la mâture, il fut le premier surpris à ne pas pouvoir
monter au-delà de la cinquième enfléchure. Le genre
de choses qui remet les idées en places, pour tout le monde. Mais,
et c'est encore un point positif, il essayera de monter un peu plus haut
le lendemain.
Accueillir à bord un groupe de ce genre n'est pas chose facile,
et j'avoue avoir été bluffé par ce mélange
de poigne et de patience dont font preuve Dominique et l'équipage.
Il faut avoir de l'autorité pour faire respecter les règles
de vie à bord, mais avec suffisamment de diplomatie pour que les
jeunes ne se cabrent pas. Bref, un exercice d'équilibre difficile
à tenir.
Le voilier ARAWAK, dernier thonier-chalutier à voile d'Etel
Arawak a été mis à l'eau en 1954 par le Chantier
Union et Travail des Sables d'Olonne. Gréé en ketch aurique,
il jauge 90 tonneaux pour une longueur de coque de 21 mètres, et
une longueur hors-tout de 30 mètres. A ses débuts il était
armé pour le chalutage et la pêche au thon à partir
du port morbihannais d'Etel, sous le nom de Refuge des pêcheurs
puis Refuge des marins, le premier étant déjà porté
par un sardinier.
En 1982, il change de propriétaire. Quelques années plus
tard le voilier est arraisonné par les Douanes Françaises
dans le Golfe de Gascogne pour trafic de produits illicites. Il est racheté
en 1986 par Suzanne et Christian de Parada alors qu'il finissait de couler
dans le port de Bordeaux. Ce couple d'enseignants vont entreprendre de
le restaurer pour faire embarquer des groupes favorisant la mixité
sociale. La restauration durera sept ans en raison d'un litige avec les
Douanes.
Les propriétaires prenant leur retraite, le voilier est racheté
en 2007 par Dominique Reynet qui possède déjà un
autre voilier à restaurer, le chalutier de l'Île d'Yeu Pied'bouée.
Le robuste thonier est resté très populaire sur son lieu
de naissance comme sur celui qui fut longtemps son port d'attache. Aujourd'hui
encore, il arrive à Dominique de revoir aux Sables l'un des ouvriers
qui ont travaillé à sa construction, ou à Etel l'un
des mousses qui a pêché à son bord ou son premier
patron. Tous ont conservé ou retrouvé des témoignages
de ces époques et que l'actuel propriétaire conserve religieusement
à son bord.
Mais Arawak ne se cantonne pas aux navigations décrites plus haut.
Basé à Lormont (face à Bordeaux sur la rive droite
de la Garonne), le voilier effectue de nombreuses croisières dans
le Golfe de Gascogne ainsi que des sorties "Pêche au thon traditionnelle"
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