POPOFF ketch aurique
Saint-Malo / Cherbourg

8 - 11 juillet 2006




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Samedi 8 juillet 18h30.

Nous sommes à Saint-Malo depuis 3 jours à l'occasion de l'escale française de la Tall Ships Race, ce qui nous a permis de visiter pas mal de beaux voiliers, et de savourer les crèpes malouines! Mais ce soir, l'excitation est autre puisque Domi et moi attendons en compagnie d'Evelyne, Nicole, Alain et Serge l'arrivée de l'annexe de Popoff pour embarquer nos bagages. Au bout de quelques minutes, c'est Najia qui arrive avec le petit canot gonflable. Alain et moi l'aidons à transborder les sacs de tout le groupe.

De retour sur la cale après avoir dîné et regardé le feu d'artifice, nous embarquons pour 3 jours sur Popoff, pour aller voir le départ de la Tall Ships' Race 2006 au large de Torbay. C'est-à-dire que nous allons traverser la Manche, dans sa partie la plus large. de Torbay, les voiliers de la course partiront pour Lisbonne.

Najia nous accueille à bord, et après les présentations d'usage, nous donne les quelques renseignements utiles, heure de départ, prévisions météo, petit déjeuner, etc… Nous prenons donc possession de nos bannettes, pour notre première nuit, au mouillage.

 



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Dimanche 9 juillet 9h.

Tout le monde est déjà debout lorsque je me réveille. Philippe, le skipper est arrivé, et nous mettons le cap vers l'Angleterre. Les tout premiers voiliers ont passé l'écluse vers 3h00, nous ne sommes donc pas les premiers à prendre le large.

Sortant de l'estuaire de la Rance, nous croisons la vedette Etoile Malouine, a bord de laquelle quelques Amis des Grands Voiliers ont pris place pour suivre les Grands Voiliers jusqu'à la mer. Jusque là, tout va bien à bord de notre joli ketch, accueillis fort agréablement par Philippe et son équipière Najia. Le ciel est couvert, il ne fait pas très chaud, un vent léger fait à peine rider les eaux de la Manche... Mais à peine dépassé Le Grand Jardin, les choses commencent à se gâter pour certains. La brise légère se transformant en vent de force 3-4, les rides deviennent rapidement une petite houle avec des creux de 1m à 1,50m. Jusque là, rien de bien méchant, si ce n'est que le ciel bien gris ne laisse présager aucune amélioration.

C'est dans l'après-midi que le vent ayant chassé les nuages, mais en se renforçant autour de 4-5, la houle devient beaucoup plus forte. Une mer bien formée avec des creux de 1 à 2 mètres, un vent de Nord-Nord-Est nous obligeant à naviguer au plus près, tout cela conjugué fait bouger Popoff dans tous les sens. A chaque passage de vague, Popoff pique dans le creux le bout dehors s'enfonçant dans la vague suivante. Domi n'est pas à l'aise. Philippe lui propose alors de tenir la barre, pensant qu'étant occupée, elle se sentira mieux. Hélas, au bout de 10mn, elle est obligée de se précipiter pour se plier par-dessus le plat-bord. Puis c'est au tour d'Evelyne, tandis que Chantal, adossée au mât d'artimon essaye de contrôler la situation. Et finalement, nos cinq passagères connaîtront (plus ou moins) quelques tête-à-tête avec le grand seau noir ou comme le dit la chanson, feront la soupe pour les harengs. On est malheureux pour elles car la traversée ne fait que commencer.

Najia se montre alors une vraie mère poule. Chouchoutant, dorlotant les malades, elle est vraiment aux petits soins pour tout le monde, s'inquiétant sans cesse de l'état de santé de chacun, nous assurant dans nos déplacements hasardeux sur un pont en mouvement permanent. Une équipière comme on rêve d'en avoir pour chaque navigation. Je crois que personne ne l'oubliera! D'autres ne sont pas plus fiers, préférant manger sur le pont, plutôt que de prendre le risque de descendre dans le carré. Domi quant à elle, préfère rester allongée sur sa couchette, le seau noir à portée de main. Elle passera en définitive environ 36 heures dans ces conditions.

La nuit est très agitée. Alain et moi nous relayons à la barre jusqu'à 0h30 environ. Un peu fatigué, je descends alors pour une petite nuit de repos. Mauvaise pioche! Popoff fait un boucan d'enfer! Ce vieux gréement si sympathique craque de partout. Il faut dire que la houle s'est plutôt accentuée, et que Philippe a remis le moteur pour s'assurer que nous n'arriverons pas en retard à Torbay. Bref, entre le bruit du moteur, des vagues contre la coque, les craquements, grincements et autres claquements, je n'aurais pas pu distinguer le moindre ronflement. Et je ne fermerai pratiquement pas l'oeil de la nuit...





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Lundi 10 vers 9h.

Je lève une paupière (j'ai quand même réussi à dormir un peu) car je sens une bonne odeur de café que Najia a préparé pour le p'tit dej'. Je passe la tête au dehors et là, j'ai l'impression d'être dans la BD "Astérix chez les Bretons":
- Il y a souvent du brouillard chez vous?
- Oah, no, juste quand il ne pleut pas.
La baie de Torbay est en pleine brume, on aperçoit vaguement les côtes anglaises et les Grands Voiliers, mouillant ça et là en attendant l'heure du départ. Europa est là, non loin de Georg Stage, Christian Radich, Sagres II, et plus loin, un peu plus au sud, Swan Fam Makkum, Stavros S Niarchos etc... Philippe a stoppé le moteur et nous tirons des bords pour aller voir de plus près ces beaux voiliers dans la brume, pour lesquels nous avons franchi le Channel.

Serge est inquiet car il ne voit ni le Mir ni le Dar Mlodziezy. Le tonneau de bière (*) est absent car ne participant pas à la première course, il a fait route directement vers le sud. Philippe nous apprend qu'Etoile Molène (qui a été mon guide de navigation pendant que j'étais à la barre la veille) est au port car ils ont un problème avec une voile toute neuve dont un des oeillets a lâché. La mer est calme, il n'y a pratiquement pas de vent, mais celles qui ont mal vécu la houle d'hier ne sont pas vraiment dans leur assiette. Hélas, alors qu'on espérait que le ciel allait se dégager, le brouillard ne fait qu'épaissir, au point qu'on a du mal à distinguer les deux gros bateaux gris qui déterminent la ligne de départ, et qu'Alain nous apprend être la "No go zone".

A priori le départ a été repoussé, on n'y comprend plus rien. Nous pensions que les petits allaient partir en premier, alors qu'Europa commence à hisser les voiles, et quelques autres classe A rôdent en tous sens autour de la ligne de départ! . Nous n'avons aucune information sur le timing, on y voit de moins en moins, et sur la suggestion de Philippe, nous mettons peu avant 16h le cap sur Saint Malo, préférant gagner du temps pour faire demain un peu de voile si la météo le permet, plutôt que d'attendre un hypothétique départ groupé, et être obligés de rentrer au moteur pour arriver dans les délais, car il y a des horaires de train à respecter.

Serge est rassuré car au loin, on distingue la bande bleue du Mir qui arrive enfin dans la baie.

Mal reposé de ma nuit "bruitée", je décide d'aller faire une petite sieste, aux côtés de Domi qui n'a pas quitté la bannette. Je somnole un peu mais ne peux pas vraiment dormir car il y a de la corne de brume dans l'air! Lorsque tout à coup, je suis sorti de ma rêverie par de grands cris sur le pont. Sautant précipitamment de ma couchette, je monte alors pour voir passer le Dar Mlodziezy à 50 mètres à bâbord, toutes voiles dehors, comme un énorme mur de coque et de voiles. Impressionnant. Le temps que je descende prendre mon appareil photo, il a déjà disparu dans le brouillard.

C'est maintenant un véritable concert de klaxons, on se croirait dans un embouteillage parisien. On reconnaît le Swan, plus loin il y a Creoula sur tribord, et de mémoire, Stavros S Niarchos sur bâbord.

Peu à peu les cornes de brume s'estompent, ce qui veut dire que la quasi-totalité des classe A nous a doublée. Lorsque surgi du brouillard, un trois-mâts qui n'a pas pu être identifié nous passe sous le nez. A quelques dizaines de mètres près c'était la collision.

C'est alors que nous arrive un des cadeaux qu'offre la nature: 2 dauphins viennent nous rendre visite. D'abord un peu timides, ils viennent effleurer la coque, passent sous l'étrave et montrent leur dos dans un grand souffle. Leur balai dure quelques minutes mais ils restent sous la surface et ne font que de brèves apparitions, malgré nos appels, et nos encouragements. Puis, le Rupel nous doublant lentement par bâbord, ils s'en vont vers le voilier belge. Sans doute pris par la course, les équipiers de ce joli voilier que j'ai eu le plaisir de visiter à quai ne semblent pas s'être intéressés à cette sympathique visite, car deux minutes plus tard, les dauphins reviennent dans le sillage de Popoff. Et là, nous avons droit à un véritable festival. Passant de chaque côté du navire, ils enchaînent les apparitions sortant la moitié du corps, alternant avec de jolis sauts, sans éclaboussures. Parfois, ils nous font au contraire, des sauts sur le côté en retombant complètement à plat dans une grande gerbe d'eau. Je n'ai pas mon appareil photo sur moi et je n'ai pas envie d'en louper une miette en descendant le chercher.

Leur balai nautique dure près d'un quart d'heure. Génial. Encouragés par des "Ouais!" "Super" "Encore", ils nous offrent un spectacle inoubliable. Et puis, alors que leurs sauts étaient toujours parfaitement parallèles à la route suivie par Popoff, ils s'écartent de notre ligne, nous refont deux sauts de côtés, agitant leur nageoire et retombent dans une grande gerbe d'eau. Est-ce un "au revoir"? Car c'est là leur dernière apparition.

La houle s'est renforcée en même temps que le vent, qui a un peu éclairci le ciel. Le vent est passé au sud-ouest et Popoff doit à nouveau remonter au vent. Philippe a fait amener le foc pour faciliter la tâche. Alain est à la barre et la houle est de plus en plus importante et il y a, je pense, des creux de 2 à 3 mètres. Ca secoue à nouveau et Alain essaye de négocier les vagues, pour le confort de nos coéquipiers. Je prends le relais à 23h45, et il descend alors prendre un peu de repos, bien mérité.

Je suis sur le pont avec Philippe et Najia. La visibilité s'étant bien améliorée, Philippe décide d'aller dormir un peu. Mais avant de descendre, il nous explique comment nous devons aborder le rail des cargos. Nous sommes à peu près à 5 noeuds, et eux à 20! Ils empruntent le rail au pilote automatique, et bien que théoriquement nous ayons la priorité puisque nous sommes uniquement sous voile, il serait illusoire d'imaginer qu'un de ces mastodontes va se dérouter pour nous laisser passer. Il nous montre la grosse torche pour éclairer nos voiles brunes ou leur en balancer un coup dans le poste de pilotage, le mieux étant bien sûr d'évaluer leur taille, leur orientation et leur vitesse, pour modifier notre route et passer derrière eux.

Même si la mer s'est un peu assagie, la houle reste bien marquée. Mais docile, Popoff se laisse mener sans problème. Attentive à tout ce qui se passe autour de nous, Najia me tient compagnie, jette de temps en temps un petit coup d'oeil discret au compas, pour s'assurer que je ne dévie pas de la route. On discute tous les deux, en plein milieu de la Manche, dans le bruit des vagues sur la coque et du vent dans les voiles. Instant magique que je savoure au maximum.

Le rail descendant est traversé sans histoires, les cargos étant suffisamment espacés pour que nous passions sans devoir nous dérouter.

Une heure environ après être descendu, Philippe refait surface. Nous venons de finir la traversée du rail descendant. Il me propose d'aller dormir à mon tour, mais tenir la barre dans ces conditions est tellement grisant que je n'ai aucune envie de dormir. Du coup, Najia décide de prendre un peu de repos, et après un petit mot gentil, descend vers sa bannette. Le rail montant est encore loin. On en profite pour discuter avec Philippe. On se raconte nos vies en raccourci, il vient de la voile de compétition, je lui parle des Amis des Grands Voiliers...

On distingue enfin des lumières sur tribord, on s'approche du rail montant. Un premier cargo passe, à priori un bateau usine inondé de lumière à la poupe, encore assez loin. Puis un second, avec des lumières bizarres, et un clignotant rouge au-dessus. Malgré les jumelles, Philippe n'arrive pas à distinguer de quel type de bateau il s'agit. Peut-être un porte-hélicoptère ou un méthanier... C'est très difficile de nuit d'apprécier les distances et la taille des navires. Est-ce un gros encore loin ou un moyen tout près? Puis arrive un paquebot, tout illuminé. Philippe éclaire la grand-voile, balance un coup de projecteur en direction de la cabine. Mais c'est juste pour nous faire voir, car la meilleure solution est de virer pour l'éviter. Alors que je suivais une route au 175-180, Philippe me dit de virer carrément à tribord. Je passe au 220. 40° d'écart. Là je vise la poupe du paquebot. Vu sa vitesse, je vais passer largement derrière. On n'aura même pas entendu une seconde le bruit des machines.

Et voilà, j'ai traversé avec Popoff le rail du Casquet, de nuit et à la voile! Nom de Dieu, je suis sacrément fier!

A 2h45 Philippe me suggère à nouveau d'aller dormir. Il a raison. Je suis crevé. Par plaisir, je serais bien encore resté malgré la fatigue. Mais bon, j'ai fait le principal. Je me fais encore le plaisir de fumer une pipe sur le pont avant de laisser Philippe seul, sachant qu'en cas de besoin, Alain est juste en bas de l'échelle, prêt à donner un coup de main.

Cette fois, Popoff aura beau craquer, grincer, rouler, je suis naze, et je m'écroule comme une masse.

(*) sobriquet donné au trois-mâts Alexander von Humbolt, coque et voiles verts, couleurs de son propriétaire le brasseur allemand Beck.




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Mardi 11, vers 11h.

Je me réveille péniblement, comme d'habitude... Il reste du café chaud et je termine la barre bretonne (j'adore). Tout le monde ou presque est sur le pont, il fait un temps splendide, la mer est calme, il n'y a presque plus de vent. Domi, Evelyne et Chantal ont retrouvé le sourire et ça fait plaisir à voir. On sait maintenant qu'on va rentrer gentiment à Saint Malo. Pour la première fois je crois, nous prenons tous l'apéro sur le pont. Najia nous a même préparé des toasts, tartinés avec amour, c'est enfin la fête pour tous. Tout le monde peut déjeuner copieusement, et les harengs n'auront que les restes!

Dans l'après-midi, la légère brise arrière incite Philippe à lancer la bonnette, sorte de demi-spi. Najia me propose alors d'aller dans le filet placé sous le
bout dehors car la vue est superbe. Vue sous cet angle, cette voile très légère est effectivement magnifique. J'en profite pour photographier également l'étrave de Popoff, un vieux rêve. Malheureusement, mes 92 kg font ployer quelque peu le bout dehors, et il me faut donc quitter ce hamac improvisé.

Nous sommes au large du cap Fréhel lorsque Domi, le genou fatigué par la station debout me repasse la barre. Il faudra manoeuvrer quelque peu pour prendre le chenal qui nous mène vers le Grand Jardin, puis l'estuaire de la Rance. Je suis plutôt fier que Philippe me fasse confiance, tout en surveillant notre cap, ça lui permet de ranger les voiles avec Najia et Alain.

Nous avons pu avoir le sas de 18h58, et Popoff est amarré quai Duguay Trouin vers 19h45.

En mettant pied à terre, mes sentiments sont mêlés. J'ai tout d'abord l'immense plaisir d'avoir traversé la Manche, là où elle est la plus large, moi qui ai mis le pied pour la première fois sur un Grand Voilier en 2003 pour une navigation de 24h. La joie d'avoir barré Popoff dans une mer pas si facile, de n'avoir éprouvé aucune inquiétude, aucun malaise. Et en même temps, sur le quai, alors que je serre Najia dans mes bras, j'ai déjà la nostalgie du large. Je regrette de les quitter, tous les deux. J'aurais aimé que la Manche soit deux fois plus large... Mais bon, tout a une fin. Et en octobre, ce sera Lola of Skagen et le pertuis charentais!

Voilà ce modeste récit de notre traversée de la Manche à bord de Popoff. Certes, les vieux loups de mer, ceux qui ne comptent plus leur temps passé en mer en jours mais en mois ou en années diront que c'est de la gnognotte. Mais pour moi, parisien bon teint, c'était une sacrée aventure!


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