AZTEC LADY ketch de Granville
Croisière dans les Anglo-Normandes
20 - 24 avril
2015


 

Naviguer dans les Anglo-Normandes, qui plus est par beau temps, peut sembler une balade pour débutants, tant l'horizon qui s'ouvre devant le promeneur semble paisible et rassurant. Au nord, la côte ouest du Cotentin, ses havres et ses longues plages de sable fin. Au sud, la baie du Mont-Saint-Michel et ses longues plages de sable fin. Au large, l'archipel des Chausey et, au-delà de l'horizon, Jersey, Guernesey, Aurigny... Autant de remparts qui semblent protéger toute la baie du raz Blanchard jusqu'à Perros-Guirec. Mais qu'on ne s'y trompe pas, même par un ciel dégagé et une mer calme, sous la surface de l'eau se cachent de terribles pièges. L'important marnage révèle de nombreux écueils découvrant à marée basse, les bancs de sable piègent dans les cuvettes les navires qui se laissent surprendre par la marée descendante, les courants violents qui alternent toutes les six heures obligent les marins à trouver un mouillage à l'abri en attendant la renverse. Il est important de bien connaître les eaux de la région, savoir lire les cartes marines, les horaires des marées et les atlas des courants. Bref, être un marin aguerri.
Pierre Lehuby, propriétaire et patron d'Aztec lady, est de ceux-là. De ceux qui se plaisent à dire qu'ils sont " nés le cul dans l'eau ". Fils de pêcheur, il commencera lui aussi par la pêche à bord d'un chalutier avant de s'orienter vers la voile professionnelle. Après diverses activités de charter et de convoyage, il patronne Neire Maôve, puis restaure Charles-Marie, qu'il patronnera pendant huit ans avant de le céder à son ami Samuel et de racheter Aztec Lady. Il connaît la région comme sa poche et, en dehors des croisières qu'il organise au Spitzberg, aux Lofoten ou au Groenland, c'est dans ces eaux-là qu'il préfère naviguer.




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20 avril Granville - Jersey - Sercq

Christine et sa fille Tiffany sont arrivées hier au soir, David, Laurent, John et Helver, les deux enfants colombiens de Laurent, nous ont rejoints peu avant le départ. Nous larguons les amarres à 10h30. Il ne faut pas mollir car si, pour une fois, les écluses du port ne se refermeront pas, c'est tout simplement parce que c'est " la journée " où on laisse le bassin se vider pour le curer et effectuer quelques menus travaux d'entretien. A peine sortis du port, nous commençons à hisser les voiles. Le voilier est relativement moderne, gréé en voiles bermudiennes, et je me retrouve donc pour la première fois à devoir manœuvrer des winches. Les voiles étant beaucoup plus légères que des voiles auriques (sans vergues), elles sont envoyées très rapidement. Les drisses sont également beaucoup plus fines. Quant aux winches, en fait ils ne servent qu'à étarquer les drisses. Car, vu l'épaisseur du cordage (à peine le diamètre d'un index), le faire à la main serait plutôt inefficace. A 11h30, nous avons envoyé foc, trinquette, grand-voile et artimon, avec un ris pour ces deux dernières. A 12h, les garcettes sont dénouées. Le vent est au nord-nord-est, assez fort, et Aztec Lady marche bien, sans trop de gîte.
A 12h30, nous apercevons sur tribord un groupe de dauphins communs. Ils viennent nous voir mais ne s'attardent pas. Il y a des petits et je pense que c'est l'heure du casse-croûte ! C'est aussi pour nous l'heure de passer à table. Les jeunes qui ne sont pas encore amarinés ont un peu de mal à manger.

Nous arrivons à 16h à la pointe sud-ouest de Jersey, précisément dans la baie de Beauport ; nous mouillons à environ 300 mètres de la plage. Le Zodiac est mis à l'eau, et Clément, le second, débarque Christine, Tiffany et Laurent. Les deux jeunes pêchent à la dandinette. Helver, le plus jeune et le plus patient, finira par attraper une orphie. Au dîner, Clément la découpe en tronçons et la fait frire à la poêle. La chair est moelleuse et plutôt savoureuse. Les arêtes nous surprennent car elles sont d'un joli vert émeraude, ce qui est tout à fait normal, même si Pierre plaisante sur la proximité de la centrale de La Hague !

Nous quittons le mouillage vers 21h30, après la renverse, pour une navigation de trois heures au moteur afin de rejoindre Sercq, que nous atteindrons à minuit pile. Nous mouillons à La Grande Grève, bien abrités du vent et de la houle. Loin de toute pollution lumineuse (la nuit, les réverbères de Sercq sont éteints), la Voie lactée nous apparaît comme on peut rarement l'observer. Les étoiles sont d'une brillance exceptionnelle.

 



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21 avril Balade sur Sercq

Au matin, nous découvrons le mouillage, paradisiaque, dans une eau turquoise et limpide. Nous déjeunons de bonne heure pour profiter de l'après-midi entier à terre. En deux tours de Zodiac, Clément nous dépose sur la plage de la Grande Grève. Il ne nous reste plus qu'à gravir la Coupée. Sacrée mise en jambes ! En 2011, lors de la Régate des goélettes, j'avais découvert une petite partie de Sercq en débarquant à Creux Harbour et en me promenant sur les falaises en direction du sud jusqu'à Dixcart Bay. Aujourd'hui, la balade de six kilomètres nous permet d'admirer le centre de l'île, à nouveau Creux Harbour, puis l'Eglise anglicane, la Seigneurie, le sentier côtier jusqu'au Port à la jument. Sur le chemin du retour ma balade m'amène jusqu'au Pilcher Monument où s'ouvre un panorama exceptionnel, de l'île Brecqhou et le Gouliot Passage jusqu'à l'anse ù mouille Aztec Lady. Grandiose.!

Cette belle promenade sur l'île, au cours de laquelle chacun aura noté le nombre impressionnant de rues, de sites, d'établissements portant des noms français, sera le prétexte à une discussion passionnante avec Pierre et Clément portant sur les tentatives des Français (dont Edouard Le Roux et Marin Marie) pour récupérer les archipels des Minquiers et des Ecréhous qui font partie des îles Anglo-Normandes et qui, contrairement à ce que beaucoup imaginent, n'ont jamais appartenu à la France.

 

 



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22 Avril Sercq - Guernesey

Après une nuit calme, on constate que le vent est toujours bien établi. Je me dis qu'on va pouvoir faire de la voile pour rejoindre Saint Peter Port. Hélas, Pierre me ramène rapidement à une réalité moins idyllique. Il déploie la carte marine de la zone, ouvre l'atlas des courants et les horaires des marées. Le vent est de nord-est, force 7, ce qui en soi n'est pas trop gênant. Mais nous sommes en période de marée descendante. Le puissant courant sera donc en opposition au vent, ce qui créera des conditions très difficiles dans le Big Russel (entre Sercq et Herm) puis dans le Little Russel (entre Herm et Guernesey). Des conditions qui nous auraient obligés à effectuer des empannages musclés avec des équipiers non expérimentés. Tant pis pour la voile, on en mettra quand même un peu pour stabiliser le bateau, et ce sont les 180 chevaux du Gardner qui assureront la traversée.


Nous arrivons à Saint Peter Port à 11h. Aztec Lady est amarré à un ponton, face à un superbe voilier australien qui vient des Caraïbes et qui continuera sa route vers Oslo.
Le vent est toujours aussi violent et les petites embarcations qui sont amarrées à des coffres dans le port se font secouer.L 'après-midi est consacré à une balade en ville et dans les environs. Comme à Sercq nous constatons la même influence britannique. St Peter Port est une vraie ville, avec ses rues pavées ou bitumées, ses feux tricolores, ses bus et une circulation intense. Là encore nous remarquons que si l'île est bel et bien anglo-saxonne, le passé normand reste bien ancré dans les mémoires. La majorité des rues et des magasins portent des noms bien français: Les gravées, la Gibauderie, le Petit Blouet, Le Truchot, tous ces noms évoquent l'époque où les îles Anglo-Normandes appartenaient au Duché de Normandie. Christine Tiffany et moi partons vers le sud de la ville, jusqu'à Clarence Battery.Mais la marche d'hier nous a un peu fatigués, Pour ma part les hanches et les genoux commencent à devenir douloureux et nous revenons vers la ville. Au détour des ruelles à la recherche de quelque pub servant d'authentiques gâteaux anglais - pour Tiffany - nous rencontrons de jeunes écoliers en uniforme: les filles en chemisier blanc, jupe plissée et socquettes blanches, les garçons en blazer et pantalon court. Ici pas de vêtements ostentatoires à la dernière mode!

La météo annonce pour demain des vents de force 7, et même 8 pour la météo anglaise. Pierre avait prévu de larguer les amarres à 5h mais, si les prévisions s'avèrent exactes, on attendra plutôt le début d'après-midi, ce qui nous permettrait d'être rendus très vite à Chausey, et à la voile.



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23 avril Guernesey - Jersey - Chausey

Pierre me réveille à 5h30. En fait de force 7 ou 8, c'est la pétole! C'est incroyable, il n'y a plus un pet de vent ! Nous quittons donc Guernesey vers 7h, au moteur et avec l'artimon. Quelques minces nuages se sont formés au-dessus de Guernesey et d'Herm. Ils disparaissent totalement après quelques milles. A 10h15, nous arrivons dans la baie de Saint-Hélier, face à la petite station balnéaire de Saint-Aubin où Pierre a décidé de faire un joli mouillage au soleil. Donc, bronzette sur le pont en attendant la renverse (eh oui, une fois de plus). Nous repartons peu avant 16h, sans un souffle de vent, la mer est à peine ridée.
Nous allons mouiller à Chausey pour la nuit. Pierre nous montre deux sites où mouiller en toute sécurité au milieu de cette multitude de " cailloux " et d'où il sera possible de repartir demain matin : la cuvette à côté de l'île d'Aneret, et celle des Carniquets. La première est déjà occupée par deux voiliers, dont Charles-Marie ; nous nous dirigeons donc très prudemment dans le chenal Beauchamp, vers cette deuxième cuvette où nous aurons assez d'eau à marée basse et d'où nous pourrons facilement repartir lorsque la marée aura suffisamment remonté. L'endroit est magique, nous baignons dans un océan de sérénité. J'aime ces moments où le temps semble s'être arrêté, ou tout au moins on en perd la notion.

 




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24 avril Chausey - Granville

Réveil à 7h30. Il fait gris. C'est vraiment dommage, car les îles Chausey sous le soleil sont autrement plus accueillantes que dans la grisaille. Nous levons l'ancre à 8h et Pierre reprend le chenal Beauchamp, lentement, très lentement. En fait, connaissant parfaitement les lieux et les habitudes des locataires, il a décidé d'emprunter un petit bras de mer qui nous fait passer près d'un îlot sur lequel nous pouvons admirer quatre phoques. Notre manœuvre est si lente et silencieuse qu'ils ne semblent pas dérangés le moins du monde. L'un d'eux est à priori en train de pêcher et n'en est pas troublé pour autant.

En sortant du chenal Beauchamp, le voilier se dirige vers le petit débarcadère de la Grande Ile, que Christine, Tiffany, David, Laurent, John et Helver vont aller découvrir. J'ai déjà eu l'occasion de m'y promener un jour de grand soleil, aussi je préfère rester à bord pour continuer de prendre des notes pour mon reportage. J'en profite également pour lire La guerre des Minquiers, un livre passionnant de Philippe Renaud (Orep Editions) qui relate les différentes tentatives de récupération de l'archipel, l'un des sujets de notre discussion de mardi soir. Nous en repartons à 11h afin d'arriver à Granville vers midi, avant la fermeture des portes.

En fait, rien n'est vraiment simple pour qui veut naviguer dans les Anglo-Normandes. Comme on l'a vu, à part un ciel très généreux, la météo nous a joué quelques tours. Le vent n'a pas toujours été au rendez-vous ou, au contraire, plus fort qu'annoncé, pas toujours orienté non plus dans la bonne direction. Si on y ajoute les effets du marnage, le plus important d'Europe, ce qui induit des courants particulièrement violents qui s'accélèrent dans les passages entre les îles, un nombre incalculable d'îlots découvrant à marée basse ou à quelques centimètres sous la surface, on comprend que l'exercice n'est pas à la portée du premier venu. D'ailleurs, l'un des pubs de Saint Peter Port est décoré de photos de bateaux de tous types échoués parfois dans des positions totalement improbables ! Pierre et Clément, deux marins normands, connaissent tous ces pièges et les déjouent avec plaisir tout en restant bien sûr d'une grande vigilance.



Voir la fiche technique d'Aztec Lady
(pas opérationnelle sur le site des Amis des Grands Voiliers)

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